Découvrez la nouvelle « Que suis-je ? »

Je vous propose ici une nouvelle très courte, un petit concentré de mots pour une déflagration d’émotions finale…

Que suis-je ?

« La souffrance, si curieux que cela puisse te paraître,

est la seule preuve de notre existence,

parce que ce n’est que par elle que

 nous prenons conscience d’exister,

et le souvenir de la souffrance

 passée nous est nécessaire en tant que justification,

en tant que témoignage de la permanence de notre identité. »

Oscar Wilde


Quand vient la nuit, j’ai un peu peur. Mon copain Tobby est près de moi, je le sais, mais j’ai quand même un peu peur.

Ses petits grognements me rassurent ; quand il rêve, il grogne et jappe, comme lorsqu’il était encore un chiot. Je sais qu’il est là et qu’il me protège. D’aussi loin que je me souvienne, Tobby a toujours été là. Il me léchait le visage quand je pleurais, et il m’a appris à pousser mes plus beaux aboiements.

Pourtant, je sais que je ne suis pas comme Tobby. Un jour, la lumière passait à travers la porte entrouverte et il faisait beaucoup plus clair que d’habitude. J’ai vu que mes pattes n’étaient pas comme les siennes. Les miennes sont plus longues, plus claires et sans poils. Parfois, je pousse aussi des cris qui ne ressemblent pas aux siens, et j’arrive à articuler des sons comme la maîtresse. Je comprends quelques uns de ces sons : il y en a un, manger, que j’aime beaucoup. Je sais, quand elle le prononce, que bientôt je n’aurai plus faim. Un jour, j’ai presque réussi à le dire comme elle. Pourtant, elle n’a pas eu l’air contente. Au contraire, elle a semblé avoir peur, et tout de suite après elle m’a donné un coup de pied dans les côtes. Là, j’ai jappé comme Tobby.

Je n’ose plus passer le seuil de la porte. Une fois, je l’ai fait, quand j’étais plus petit. Je percevais des sons très mélodieux et rythmés, et des voix inconnues. Je me suis approché doucement, doucement, et suis arrivé dans une grande pièce sombre.

Les sons provenaient d’un objet mystérieux, une espèce de grand cadre noir et plat. Et dans ce cadre, il y avait des animaux comme ma maîtresse qui parlaient. Je ne comprenais pas ce qu’ils disaient, par contre, à côté d’eux, il y avait un autre animal absolument fabuleux. Il était multicolore et perché sur un bâton. Il ne ressemblait pas du tout à la maîtresse, et pourtant, il parlait comme elle ! Sa voix était un peu plus discordante, comme la mienne…Je sais cependant que je ne suis pas non plus comme cette drôle de bête. Je n’ai pas de plumes de toutes les couleurs.

Je n’ai pas pu l’observer plus longtemps. Elle est arrivée d’un coup derrière moi et m’a flanqué la raclée de ma vie. A un moment, elle a été très proche de mon visage. Ses longs cheveux blonds ont caressé mon visage et j’ai pu m’accrocher furtivement à ses grands yeux verts, dévorés par la haine. Après, je ne me souviens de rien. Je me suis réveillé près de Tobby qui, fidèle à son poste, léchait mes plaies.

Pourtant, aujourd’hui, j’ai décidé de sortir à nouveau. Je sais qu’elle est partie, j’ai entendu claquer la porte, au loin, et tout de suite après il y a eu un bruit métallique. Quand j’entends ce bruit, cela veut dire qu’elle ne va pas revenir tout de suite.

Je passe le bout du nez et j’attends ; rien. Il règne une clarté éblouissante. J’évolue lentement, le visage contre le parquet, et parviens dans une pièce inconnue. Là, tout au bout, contre le mur, je vois un être étrange qui me regarde, à quatre pattes sur le sol. Il paraît irréel, lumineux : c’est comme s’il appartenait à un autre monde. Il se tient dans l’encadrement d’une grande fenêtre brillante. Apeuré, je m’avance doucement vers lui ; alors, au même moment, il s’approche de moi ! Je parcours quelques mètres, et il fait de même, sans me lâcher du regard. Soudain je pousse un cri : je viens de me cogner la tête contre lui ; c’est froid, lisse et dur. L’étrange animal ouvre la bouche en même temps que moi et pousse un cri silencieux. Sous ses mèches blondes et sales, ses grands yeux verts me regardent, perplexes, au fond de son visage crasseux.


J’espère que cette petite nouvelle vous a plu… et vous a donné envie de découvrir les autres ! 🧐

Vous pouvez la retrouver dans le recueil Sous la Surface ici .

Gdaoulas

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